L'aggiornamento du Petit Office de la Sainte Vierge Sur une idée originale de mon épouse, j'ai passé quelques temps à réfléchir sur les possibilités et les principes qui permettraient d'adapter le Petit Office de la Sainte Vierge au visage moderne de la Liturgie des Heures. Il faut d'abord, en introduction, présenter brièvement les acteurs en présence. Je discuterai ensuite du problème de l'aggiornamento du Petit Office sur le plan des principes. La majeure partie de cet article est purement technique ; elle discute des règles pratiques qui permettent de respecter l'esprit de ce Petit Office, des difficultés d'organisation et de traduction, et des résultats. 1. Introduction : les acteurs. 1.1. L'Officium Parvum Beatae Mariae Virginis dans toute la suite l'OPBMV. sources : édition 1935 P. McDonald O.Carm. édition 1844 au manuel des frères et soeurs du tiers-ordre dominicain 1.2. La Liturgia Horarum Les communautés qui avaient l'OPBMV comme office propre se sont vues imposer la Liturgie des Heures, ce qui a contribué à refroidir, notamment chez les tertiaires Carmes et Dominicains, la flamme de la dévotion mariale. 1.3. La Liturgie des Heures en francais 2. Arguments pour et contre une telle démarche 2.1. Contre Tout office marial rénové s'écarterait substantiellement des versions indulgenciées de l'OPBMV et ne pourrait aucunement prétendre au privilège sabbatin. La plupart des objections faites à la Liturgie des Heures, avant et après sa publication, s'appliqueraient à un OPBMV rénové : - il s'agit d'une création prométhéenne, alors que la véritable Liturgie est un don recu dans l'humilité de la posture du mendiant et de l'élève, et non un outil pédagogique qu'on triture pour satisfaire un prétendu besoin humain (seul Dieu nous comble, de toute facon) ; - elle comporte des difficultés de traduction considérables ; - elle a tué les Petites Heures, leur substituant un "Office du milieu du jour", la réintroduction récente de Tierce et None et le re-branding de l'Office du milieu du jour en Sexte n'étant qu'une verrue sur une verrue (comprendre que l'autorité semble avoir un discours du type : "si vous tenez vraiment à dire trois petites heures au lieu d'un seul office méridien, vous n'avez qu'à chanter l'office méridien, et compléter avec les psaumes graduels") ; 2.2. Pour Les trois principales dévotions mariales quotidiennes (par opposition aux pélerinages mariaux et aux neuvaines) sont, depuis le milieu du Moyen-Âge, l'Angélus, le Rosaire, et l'OPBMV. L'abandon presque complet de l'OPBMV au cours du XXe siècle ne laisse aux fidèles qui souhaitent rythmer leur journée par une dévotion mariale que l'Angélus, très court, et la récitation quotidienne de multiples dizaines ou chapelets (pour les plus motivés). De nombreux fidèles qui dans les siècles passés auraient récité l'OPBMV ont ainsi adopté l'option "Trois Angélus, Laudes et Vêpres" - c'est le cas de votre serviteur (les bons jours...). Les laïcs qui ont revêtu le scapulaire carmélitain choisissent tous de réciter le chapelet. Il s'agit dans les deux cas d'un pis-aller qui correspond à l'absence d'une dévotion proprement et intégralement mariale, propre a cultiver dans l'âme des fidèles l'esprit de prière, et d'une longueur compatible avec la vie moderne. L'OPBMV a également généré un certain nombre de doublons (de psaumes, d'antiennes, d'oraisons et de lectures bibliques) qui sont des accidents de l'histoire sans signification spirituelle et qui alourdissent sans bénéfice discernable sa récitation. 2.3. Conclusion quant à la faisabilié de principe On risque d'attendre longtemps un renouvellement du privilège sabbatin. S'il n'est nullement abrogé, il n'est plus promu par l'Eglise. En ce sens, le fait qu'un OPBMV rénové n'en bénéficie pas n'est pas un obstacle majeur ; le privilège sabbatin n'est pas l'unique raison d'être de l'OPBMV. Les autres objections sont solides. En particulier, il me semblerait incongru de prier un office que j'ai moi-même rénové, sans au moins l'approbation d'une autorité ecclésiastique. Mais pour pouvoir avancer sur ce terrain, il faut proposer ; je veux donc proposer une solution possible au problème de l'aggiornamento de l'OPBMV, sans préjuger de ses qualités en principe. 3. Règles pratiques pour une rénovation 3.1. Règles découlant de l'esprit de l'OPBMV - N'introduire dans l'office aucune matière nouvelle : les psaumes, antiennes, hymnes, lectures, répons et oraisons de l'OPBMV et eux seuls doivent être utilisés. - Ne rien supprimer dont la disparition risque d'enlever à l'office son caractère proprement marial ; notamment ne supprimer aucune des hymnes, antiennes et oraisons, qui sont toutes mariales. - L'office rénové doit être significativement plus court que la Liturgie des Heures, et beaucoup plus long qu'un chapelet. - Autant que possible, les psaumes doivent conserver leurs antiennes. Si l'antienne est extraite du psaume, cette règle est absolue. - Autant que possible, les antiennes, oraisons et lectures propres à un temps liturgique (Avent ou Noël) le resteront. Si la coloration temporelle de l'élément en question est évidente, cette règle est absolue. - Les antiennes ont une variabilité saisonnière entre Avent, Noël, et le reste de l'année, à l'exception de Complies et Matines/Lectures qui ont les mêmes antiennes toute l'année. 3.2. Règles découlant de l'alignement sur la structure de la Liturgie des Heures - L'office rénové doit comprendre un office de Lectures, Laudes, une Heure médiane, Vêpres et Complies. - La longueur relative des heures les unes par rapport aux autres doit être sensiblement la même que dans la Liturgie des Heures ; ainsi Lectures doit-il être un peu plus long que Laudes et Vêpres, et l'Heure médiane et Complies, nettement plus courts. - Les offices qui ont une variation quotidienne doivent être de longueur sensiblement égale d'un jour sur l'autre. - Les hymnes sont transférées au début des offices. - On tentera autant que possible de supprimer les répétitions qui n'ont aucune signification. 3.2. Choix structurants arbitraires ou de convenance - Faire passer à Laudes le contenu de Prime, autant qu'il est convenable. - Remplacer les trois nocturnes (Dimanche-Lundi-Jeudi ; Mardi-Vendredi ; Mercredi-Samedi) par sept jeux de psaumes pour l'office des Lectures, un par jour de la semaine. - Spécifiquement, conserver les nocturnes existants pour le dimanche, le vendredi et le samedi respectivement ; transférer aux Lectures des lundi, mardi, mercredi et jeudi les psaumes des petites heures. 3. Proposition de structure 3.1. Répartition des psaumes On veut, dans l'idée, transférer les petites heures aux Lectures des lundi, mardi, mercredi et jeudi, et raccourcir Laudes, Vêpres et Complies, tout en dégageant des psaumes pour une Heure médiane. On transfère les psaumes de Tierce aux Lectures du mardi, ceux de Sexte aux Lectures du mercredi, ceux de None aux Lectures du jeudi. On raccourcit Laudes en conservant trois psaumes sur cinq, les psaumes de louange (62, Daniel 3 et 148). On déplace les deux autres (92 et 99) aux Lectures du lundi. On répartit les psaumes de Prime entre les Lectures du lundi et l'Heure médiane : le psaume 117 a la longueur requise et se prête bien à une telle heure. On raccourcit Vêpres en conservant trois psaumes sur cinq (109, 112 et 147). Les deux autres (121 et 126) étaient déjà inclus dans les petites heures (le 121 à Tierce et le 126 à None) et sont donc aux Lectures du mardi et du jeudi respectivement. On raccourcit Complies en conservant deux psaumes sur quatre (12 et 130). Des deux autres, le 42 vient compléter les Lectures du lundi, les plus courtes jusqu'ici. Le psaume 128, psaume imprécatoire, est supprimé. 3.2. Répartition des antiennes On conserve aux Lectures des vendredi, samedi et dimanche les antiennes des noctures correspondants dans l'ancien office, qui restent ainsi liées aux mêmes psaumes. On s'attachera à conserver aux quatre autres séries de psaumes des Lectures l'une des antiennes qui leur correspondait dans les petites heures de l'ancien office. Pour Prime/Laudes et Vêpres, on a un souci : les antiennes d'Avent et Noël sont les mêmes entre les trois offices ; et l'antienne pour l'année est la même entre Prime et Laudes. Solution : - on emploie pour Laudes dans l'office rénové les antiennes de l'office ancien (qui étaient donc, toute l'année, les mêmes entre Prime et Laudes) ; - on emploie pour Vêpres dans l'office rénové l'antienne de Vêpres pour l'année dans l'office ancien (qui n'est pas celle de Laudes) et les antiennes de None pour l'Avent et Noël. L'antienne de None pour l'année vient accompagner les psaumes de None transférés aux Lectures du jeudi. Les six antiennes de Tierce et Sexte (trois antiennes fonction de la saison, fois deux) doivent fournir les trois antiennes de l'Heure médiane et doivent fournir une antienne pour les Lectures du mardi et une pour les Lectures du mercredi, qui reprennent les psaumes des anciens offices de Tierce et Sexte. Ceci dégage mécaniquement une antienne qui devient inutilisée : gardons-la en tête. Pour Complies, l'office ancien a une seule antienne pour toute l'année : on la garde. On a pour l'instant des antiennes pour toutes les heures, sauf les Lectures du lundi, qui sont composées de psaumes de Prime et de Laudes (plus le psaume 42 qui vient des Complies de l'ancien office), mais toutes les antiennes de Prime/Laudes sont utilisées. On peut donc employer une antienne de Tierce qui n'avait pas d'emploi par ailleurs. Cependant, aucun des psaumes de Prime n'avait cette antienne dans l'ancien office. C'est la seule exception à la règle que nous nous étions fixés : "autant que possible, les psaumes doivent conserver leurs antiennes". Je ne vois pas de solution satisfaisante qui ne nécessite pas d'y déroger au moins une fois. 3.3. Répartition des lectures L'OPBMV a deux jeux de lectures : un pour l'Avent, et un pour Noël et le reste de l'année. Ces lectures comprennent un certain nombre de doublons que la réduction du nombre d'heures va résorber de manière assez naturelle. On conserve les lectures de Matines dans l'office des Lectures. On conserve la lecture de Complies (la même toute l'année). Pour l'Avent : - la lecture de Prime est attribuée à Laudes ; - la lecture de Laudes et Sexte est attribuée à l'Heure médiane ; - la lecture de Tierce et Vêpres est attribuée à Vêpres ; - la lecture de None est inclue dans une lecture des Matines reportée dans les Lectures. Pour le reste de l'année : - les lectures de Prime et Laudes, qui se suivent, sont fusionnées et attribuées à Laudes ; - les lectures de Tierce, Sexte et Vêpres, qui se suivent, sont fusionnées et attribuées à l'Heure médiane ; - la lecture de None, plus conséquente, et qui fait suite à l'assemblage des trois précédentes, est attribuée à Vêpres. On ne peut que s'interroger sur la curieuse inversion qui fait que le chapitre 24 de l'Ecclésiastique est lu de manière suivie entre Tierce et Vêpres dans l'OPBMV ancien, mais avec une inversion de deux passages entre None et Vêpres. L'ordre se corrige assez naturellement, comme on l'a vu. 3.4. Réparition des oraisons La réparition des oraisons ne présente pas de difficulté particulière, notamment parce que l'office des Lectures n'a pas d'oraison conclusive et que son extension de trois à sept variantes ne nécessite pas de trouver quatre oraisons supplémentaires (le problème, on s'en souvient, se pose pour les antiennes). Une oraison propre de l'Avent et une oraison propre de Noël sont dites après toutes les heures de l'ancien office (sauf Complies) durant ces périodes. On les conserve pour Laudes et Vêpres aux temps concernés. Ces oraisons se trouvent être les oraisons de conclusion de Laudes et Tierce pendant l'année dans l'office ancien, ce qui constitue un doublon. On emploie donc pour Laudes l'oraison de conclusion de Prime, et on a le choix pour l'Office du milieu du jour entre les oraisons de conclusion de Sexte et None. L'oraison de conclusion de Complies, la même toute l'année, est conservée. 3.5. La question des octaves L'OPBMV prévoit des strophes propres aux hymnes pour le temps pascal, l'octave de l'Ascension et l'octave de Pentecôte. Or, ces deux dernières ont été supprimées dans le calendrier réformé. J'ai finalement choisi de conserver la strophe ajoutée pendant les dix jours suivant l'Ascension. La Liturgie des Heures a en effet, sans le dire, conservé certaines parties de cette octave, notamment le chant de l'hymne Optátus votis ómnium à toutes les Laudes de l'Ascension à la Pentecôte, et l'emploi des préfaces de l'Ascension à ces mêmes dates à la place des préfaces de Pâques (on est, après tout, encore au temps pascal.) Je n'ai pu faire autrement que de supprimer la strophe de l'octave de la Pentecôte. Il aurait été possible, quoique étrange, de la conserver seulement pour le jour de la Pentecôte. On ne peut que prier pour le rétablissement de cette octave, mais l'exigence d'alignement avec le reste de la réforme liturgique s'impose au rénovateur de l'office. 4. Le problème de la traduction Les psaumes AELF sont critiquables à bien des égards mais ils ont également nombre de qualités : notamment, ils sont plus musicaux que ceux de la Bible de Jérusalem. Leur emploi dans un OPBMV rénové en francais coule de source puisqu'il faut rechercher une cohérence avec le reste de la prière de l'Eglise. La même chose peut être dite des lectures bibliques. La majorité des antiennes, répons et oraisons de l'OPBMV ancien sont présents dans la Liturgia Horarum, notamment au commun de la Vierge Marie (sans surprise) et au propre des différentes fêtes mariales. Cependant, force est de constater que les traductions pour la Liturgie des Heures en francais sont, dans le meilleur des cas, des contractions extrêmes vidant l'original de beaucoup de son contenu, et dans la majorité des cas, des substitutions par des textes composés ad hoc. La même chose est vraie des hymnes du commun de la Vierge Marie : Quem Terra Pontus AEthera, O Gloriosa Domina et Memento Salutis Auctor, remplacés par les affreuses tentatives de poésie contemporaine que chacun connaît. L'hymne Ave Maris Stella, qui est répartie entre Vêpres et Complies dans l'OPBMV, fait exception. Aussi, les traductions que j'ai pu rassembler sont issues : - de l'AELF (psaumes et cantiques, lectures, certaines antiennes, Ave maris stella) - du site societaslaudis.org qui ne cite pas ses sources (certaines antiennes, hymnes Quem Terra et O Gloriosa Domina, certains répons) - j'ai du compléter la traduction du Te Deum qui n'est que partielle chez AELF. Les compléments viennent des psaumes AELF. - j'ai complété la traduction AELF de l'antienne Virgo verbo concepit, qui est plus une contraction qu'une traduction : "La Vierge a conçu par la parole, la Vierge a enfanté le Sauveur". Je réutilise le début, et je complète avec celle de Societas Laudis. - du manuel du tiers-ordre dominicain pour l'antienne O gloriosa Dei Genitrix - de l'Académie de chant grégorien de Namur (Gérald Messiaen) pour l'hymne Memento salutis Auctor J'ai composé moi-mêmes les traductions suivantes : - antienne Specie tua - antienne Cum jucunditate - antienne Nesciens mater (au passage, le fait que cette antienne, harmonisée par Mouton dans l'un des plus hauts sommets de toute la musique voire de tout l'art universel, ait été supprimée de la Liturgia Horarum, est un grand dommage) - oraison Deus qui de beatae - répons Sancta Maria, Mater Christi - répons Post partum, Virgo Les traductions ont été harmonisées pour tutoyer chacune des trois Personnes de la Sainte Trinité, et vouvoyer la Vierge Marie. Ce second choix n'est pas la convention prise par l'AELF, qui mélange tutoiement et vouvoiement de la Vierge Marie ; il m'a semblé nécessaire de faire un choix clair, et comme le Je vous salue Marie, qui sert d'antienne à plusieurs reprises dans l'office rénové, est vouvoyé, et qu'il me semblait peu opportun de le modifier, j'ai aligné les quelques traductions AELF qui tutoyaient la Vierge Marie. Conclusion